Viva Espana

-------- Bulletin médical numéro 00017b --------

L'hémato me rappelle pour m'informer que le chirurgien est a priori d'accord pour effectuer prochainement la biopsie, mais que ce dernier attend encore une confirmation de la part du pneumologue pour savoir s'il n'y a pas de risques. Bref, il veut se couvrir. Résultat des courses : je m'en vais vers une biopsie prochaine, mais je dois attendre encore mardi pour que les deux spécialistes se rencontrent et statuent sur mon cas. Attendre un peu plus un peu moins... Je presse toutefois l'hémato de me revenir avec une date mardi, paskil faut pas non plus déconner, j'attends comme un rond de flan depuis des jours et je suis en train de poser tous mes jours de congé maladie au Québec pour juste avoir le droit d'entendre la date de mon charcutage.

Heureusement, il y a l'équipe de France de Football pour nous faire rire. Tête de série de leur groupe, les tricolores étaient ce soir en position de se qualifier ou de se faire éliminer face au Togo. Diantre! Une élimination?? Nous les Champions du monde et Champions d'Europe? Ce serait trop drôle. D'où en tout cas cette manchette digne des meilleurs quotidiens sportifs trouvée par un ami de Serge et qui résume bien l'enjeu de la soirée : "Togo-France : Go To France"

Rendez-vous est pris à 20 heures avec Cédric dans un pub près des quais. Le Frog&Rosbif qu'il s'appelle. Le match est prévu à 21 heures. L'endroit, très vaste, est à moitié vide. Mais on se rend vite compte que toutes les tables sont réservées. Tant pis, on se prendra notre cheeseburger sur le coin du comptoir. A ma droite, le casse-couille de service fait son apparition : vêtu d'un t-shirt crado de l'équipe nationale de Tunisie, il peine à mettre un pas devant l'autre. Accroché solidement au comptoir, il observe les dernières gorgées de sa pinte de blonde avec un air proche de celui d'un bovin neurasthénique. Je sais pas pourquoi, mais j'arrive pas à en détourner mon regard. A côté, Cédric panique : il est de garde ce soir, et son portable capte super mal. On échange nos places, au cas où une translation de 50 centimètres ferait changer les choses.

Bang Bang!! Avec une précision de métronome, voilà que le casse-couilles se met à marteler le comptoir de son poing. Je ne sais quel message il cherche à faire passer. Peut-être que son verre est vide. Derrière, quelques drapeaux français émergent de la foule des chanceux attablés. "Aller la France" éructe l'un d'eux. "Erghgnââââ!!!" hurle à son tour le bovin, qui arrive surprennamment à se retourner sans renverser la moitié de sa pinte de nouveau pleine. Bordel, faut que j'arrête de le regarder.. Faut pas...

La bouffe arrive. Cheeseburger-frites-salade de choux. Cédric est aux anges. Hmm, de la bonne junk food comme à Montréal!! Pis c'est vrai que les frites sont bien croustillantes. Tiens, voilà que Cro-Magnon est en train de pleurer dans les bras d'un pote qui vient de le rejoindre. Il pleure. Vraiment. Bon d'accord, il est saoul. Mais n'empêche. Je comprends toujours pas ce qu'il dit, mais à en juger de l'aggravation de son état, je me dis que j'en ai plus que pour quelques minutes à le voir partager le même champ visuel que le mien.

Gaëlle, une amie de Cédric, épidémiologiste de profession, nous rejoint. De son côté, l'équipe de France se crée au moins 20 occasions incroyables en première mi-temps, sans en concrétiser une seule. On se marre. La France est obligée de gagner avec au moins deux buts d'avance ce soir si elle veut passer en 8èmes de finale. Presque tout le monde a l'air abattu, sauf quelques uns qui se poilent à l'idée de voir la folie hexagonale du ballon rond prendre abruptement fin un vendredi 23 juin à 23 heures.

Ouf! Mi-temps! Casse-couilles est maintenant en train de pleurer dehors. Nous, on file rejoindre d'autres amis de Cédric à "Los dos hermanos", bar à tapas du Cours Victor Hugo. La télé est minuscule. On regarde maintenant le match dans le reflet des grands miroirs en face de nous histoire de ne pas se retourner toutes les cinq secondes. Olivier nous rejoint pour un petit verre tranquille.

Coup sur coup, la France marque deux buts. Ils vont le faire, c'est incroyable. C'est Villepin qui va être content. Encore un peu de foot pour passionner les foules, encourager la consommation des ménages et faire oublier les petits scandales politiques entre amis. Fin du match à 23 heures. La France accède au tour suivant et affrontera les joueurs de la péninsule ibérique. Cédric a choisi son camp et chantera "Viva Espana".