La Buick et le sapin, ou J moins 1 bis

7h45 : Ma carte d’accès à Radio-Canada. L’œil d’Allah que Kamel m’a remis avant le départ. Ma carte de Nation de l’université suédoise de Lund, témoignage de mon passé d’Erasmus chez les Vickings. Une carte d’accès à bord du ferry Gabriella entre Stockholm et Helsinki… Petit aperçu des quelques objets que je me traîne ce matin dans les poches. Autant de porte-bonheur auxquels je m’accroche désespérément. J’enfile quatre tartines machinalement dans le chocolat fumant.

8h15 : Je monte dans la voiture. Direction : 3e et dernier don de sperme au Cecos. Ce matin, j’ai envie de me tirer sur la nouille comme de me pendre. En même temps, on m’aurait demandé d’aller me balader en string au milieu du réacteur 5 de Tchernobyl que ça m’aurait fait le même effet.
9h00 : L’esprit atomisé, je suis obligé de nouveau de faire un effort d’imagination surhumain pour parvenir au résultat escompté.

10h00 : Arrivée avec papa à l’institut Bergonié, où l’on doit théoriquement m’administrer ce jour ma première dose de chimio. A peine entrés dans le parking, elle attire mon regard. Comme un heureux présage. Une Buick Le Sabre modèle début des années 90. Du genre de voitures plutôt banales au Québec, mais absolument introuvables en France. Un vrai OVNI. Et elle est là. Garée à quelques mètres. Je serre l’œil d’Allah à mesure que l’on s’approche de l’accueil des hospitalisations. La secrétaire remplit mécaniquement ma fiche d’entrée. Je lève les yeux. Deuxième vision prémonitoire. Il est là, dans son carton, dans la pièce du fond. Bien rangé en attendant qu’on le sorte pour Noël. Un vrai de vrai… en plastique. Je relis le nom sur la boite. Oui, c’est bien ça : SAPIN ARTIFICIEL – MODELE CANADIEN. Je rêve. La Buick, le sapin canadien… tout est là. La journée part sous les meilleurs auspices.

15h et des poussières. Maman est arrivée. L’hématologue aussi. Il ouvre la bouche, c’est la délivrance. Tous les tests passés la semaine dernière, les scans, le Tepscan, les prises de sang, la ponction de moelle etc etc… ne révèlent rien d’autre que la tumeur au cou. Bon, elle est pas petite, c’est un fait, 7 cm sur 4. Mais elle reste localisée. Un bon point. Et puis surtout, j’ai a priori rien dans le bide. Pas de grosse tumeur diffuse et merdique comme je redoutais. La petite excroissance au niveau de la rate ? Le tepscan, qui fixe les tumeurs, ne la relève même pas. Wow… c’est pas comme si j’étais guéris, c’est clair, mais quel soulagement de ne pas avoir à faire face à une maladie à un stade avancé. Le verdict tombe : stade 1, c'est-à-dire minimal. 6 séances de chimio programmées, une toutes les trois semaines. Peut-être moins si la rémission, validée par tepscan, est plus rapide. Peut-être un mois de radiothérapie sur la gorge pour clôturer le tout, mais c’est même pas certain. Bordel. Merci la Buick, merci le sapin, merci Allah, merci à toutes et à tous, qui m’avez envoyé les bonnes ondes du lundi. Ce putain de cancer, on va se le bouffer avec les baguettes. Finalement, la chimio débute demain. Ce soir, je regonfle les batteries.